Le livre d’Erik Sablé,
Sagesse libertaire taoïste (Editions Dervy) aide à s’affranchir des illusions de l’Ego et de l’arbitraire de la société :
Le taoïsme n’est pas simplement une philosophie chinoise un peu particulière ou une mystique iconoclaste, il développe aussi des idées très précises sur l’organisation politique de la société.
En fait, dans les écrits de Lao Tseu, ou de Tchouang Tseu, ces différents domaines sont étroitement imbriqués et le vécu le plus spirituel se reflète toujours dans le monde concret. Mystique et politique sont indissociables et la sagesse taoïste s’applique directement au gouvernement des peuples. Cependant, les commentateurs occidentaux ont presque toujours occulté, minimisé, rejeté ou même trahi l’aspect profondément libertaire de la pensée de Lao Tseu car elle rejette la plupart des « valeurs » fondatrices de notre monde contemporain. Lorsque l’on se familiarise avec cet aspect « politique » du taoïsme une chose devient évidente : dans toute l’histoire de l’humanité, aucune société n’a peut-être été plus éloignée de l’idéal taoïste que la nôtre.
« Ne rivalise pas » affirme le Tao Te King (8,66). Or, notre « société libérale avancée » exalte la compétition. Elle en fait même un « idéal moral », un principe de fonctionnement. Elle voit dans la rivalité sociale la clé d’une meilleure efficacité, une image de la sélection naturelle où ce sont, soit-disant, les plus aptes qui survivent.
« Fais en sorte que les rusés n’osent rien faire » demande le Tao Te King (3). Or, notre monde moderne est fait pour les rusés, les manipulateurs. Ce sont eux qui mènent le monde et comme le dit fort justement le philosophe Michel Onfray, on ne peut réussir en politique si l’on n’est pas un disciple du Prince de Machiavel qui combine, calcule, utilise avec cynisme.
« Garde le peuple du désir ». Lao Tseu considère même que « le plus grand crime (est) d’exciter l’envie », « le plus grand malheur (est) d’être insatiable », « le pire fléau (est) l’esprit d’appétit » (46). Or, notre société exalte le désir par tous les moyens, suscite l’envie à tel point que désirer et consommer sont devenus synonymes de vivre. Et notre espace mental est constamment occupé par les publicités et autres artifices qui suscitent une multitude de désirs artificiels.
« Qui fait parade de soi-même est sans éclat » dit le Tao Te king. Or, notre société a le culte des idoles. Actrices, chanteurs, romanciers ou philosophes à succès, hommes politiques médiatiques constituent comme la quintessence de notre univers. Seul existe ce qui se montre, se voit, se déploie devant le regard de la multitude. Le secret, l’obscur, est méprisé, ignoré.
Le corollaire de cette parade médiatique est la « réussite sociale » qui est une des « valeurs » clé de notre monde moderne. Or Tchouang Tseu critique avec virulence l’homme qui « considère que la réussite sociale est un signe d’intelligence et l’échec social en signe de stupidité, que le succès est un honneur et l’insuccès une honte ».
On croirait que la parole de Tchouang Tseu s’adresse à l’un de ces hommes d’affaires médiatiques qui répand son idéologie de « gagnant ». Un de ces hommes qui s’est laissé « gonflé par l’ambition », la quête éperdue et finalement suicidaire (du point de vue de la nature profonde de l’être humain) de la « dignité, la richesse, l’autorité, le renom… » (T.T. p.192). Car, selon la parole de Lao Tseu, « un de tous les instruments de mort, l’ambition est la plus meurtrière ».
En revanche, être « content de son sort », sans ambition, est devenu, dans la société actuelle, une faiblesse inadmissible, incompréhensible.
« Quiconque veut s’emparer du monde et s’en servir court à l’échec… qui s’en sert le détruit, qui s’en empare le perd »… enseigne Lao Tseu (29). Or, l’homme occidental obéit à la croyance pernicieuse que les choses se font grâce à lui, pour lui ; que la volonté est libre, toute puissante et peut ployer les événements, contraindre les êtres.
Finalement, cet homme en arrivera à « s’ériger en maître du monde et obligera les autres hommes à adopter ses jugements et à se sacrifier pour eux » (T.T. p.191).
Toutes les idéologies destructrices qui se sont toutes rapidement transformées en instruments de terreur obéissent à ce principe. Qu’il soit conduit par une « volonté de bien » ou la soif de pouvoir, l’homme qui veut s’imposer, diriger, se transforme en tyran et conduit la société à la destruction.